Prêt d'Objets -
Nos biens, des relations pas si utilitaires ?
Vous êtes vous déjà demandé quelle était la véritable essence des objets qui nous entourent ? Au-delà de leur utilité immédiate, que se mire-t-il dans leur reflet ?
Sont-ils le miroir de l’argent, du pouvoir ? Sont-ils un moyen primaire de subsistance ? Sont-ils les gardiens de nos souvenirs ? Ou pourraient-ils encore être l’incarnation inerte de l’extraction du vivant, sorte de totem posé sur l’étagère du conquérant.
Entrouvrons ensemble la porte de nos placards et de nos cœurs.
Que racontent nos objets de nous ?
Les objets de notre quotidien sont bien plus que de simples outils : ils sont porteurs de sens et sont imprégnés d’une richesse d’interprétations et de connotations qui façonnent leur utilisation, leur perception et leur valeur.
Sherry Turkle, psychologue et sociologue américaine, insiste sur la dualité qui existe entre les relations utilitaires et affectives que nous entretenons avec nos biens. Elle suggère que ces deux types de relations, qui semblent incompatibles, coexistent souvent, enrichissant notre expérience avec les objets qui nous entourent (1). Beaucoup de personnes donnent par exemple un nom à leur voiture, transformant un simple moyen de transport en compagnon de voyage.
Roland Barthes, philosophe et sémiologue, met en lumière lui aussi que nos biens peuvent dépasser leur fonction primaire et avoir des significations cachées ou déplacées (2). Imaginez une chaussette perdue, échouée sous un lit. Normalement, une chaussette sert à garder le pied au chaud. Mais dans ce contexte, la chaussette solitaire devient le symbole de la désorganisation, de la perte, ou même d’une quête éternelle pour retrouver sa partenaire disparue.
L'objet de nos histoires collectives
Comme le soulignent Jean Baudrillard et Georges Pérec: “Au-delà de leur efficacité technique, les objets sont en effet des marqueurs culturels dont la possession est au cœur d’enjeux symboliques et sociaux (3)”.
Chaque bien que nous utilisons ou partageons devient un témoin de notre histoire personnelle et collective, imprégné de significations et d’émotions.
En d’autres termes, la fonction d’une paire de basket ne serait pas limitée à l’amélioration de notre confort sportif. Pour beaucoup, la marque de cette dernière valorise un statut social, une appartenance au groupe, en définitive son achat est un investissement ayant pour but d’améliorer notre image social.
Pour autant :
Lors d’un projet artistique en 2019, Leslie Ranchon, co-créatrice de Kipeet, avait demandé à des amis quel était l’objet auquel ils tenaient le plus. Étrangement, personne n’a parlé de sa voiture ou d’un vêtement de marque.
Témoignage Aurélie* :
“ Avec mon couteau, je suis souvent passée pour la collègue alcoolique qui a un tire-bouchon ou pour la copine flippante qui a un couteau… Mais aux Galápagos, ils ont compris que j’étais surtout une fille sentimentale… Au moment de passer les contrôles des bagages à main, ils ont trouvé mon couteau suisse… Je leur ai expliqué que c’était mon père qui me l’avait offert et qu’il ne me quittait jamais et surtout que c’était un oubli ! Alors ils ont été top et m’ont laissé aller le poser dans mon backpack sur le tarmac! Grâce à mon couteau et mon papa, je peux dire que j’ai été sur le tarmac d’un aéroport (même si c’était un tout petit aéroport)! ”
Témoignage Clémence*
Au regard de ces interrogations, serait-on prêt à prêter n’importe quel objet ?
Au fond la réponse est non, mais la raison n’est pas si financière qu’il n’y paraît.
Qui n’aurait pas peur de voir ses souvenirs bafoués ?
Qui prêterait volontairement son sceptre social à celui qui n’en a pas ?
Ces questions semèrent pour nous la graine d’un autre projet artistique : libérer nos biens.
Telle des adolescents, il ne s’agit pas de s’en séparer, ou de faire disparaître le lien qui nous y lie, ni de le nier. Mais d’arriver à une maturité dans notre relation et notre regard à l’objet.
Mais alors, quoi de mieux qu’un objet interactif pour expérimenter nos liens aux objets ?
L’application de mémorisation des prêts d’objets
qui engage à prendre soin des autres.
Ce projet prit donc la forme d’une application numérique : Kipeet, biens à vous.
Une création qui permet d’encourager les gens à prendre soin des objets qu’ils empruntent et à encourager les prêteurs à confier leurs souvenirs, leurs biens.
Au fond, prendre soin des objets, c’est toujours prendre soin de sa relation aux autres. Que l’on parle de la marque sociale de l’autre; de ses souvenirs ; de ses moyens ; ou de ses peurs. Ces objets incarnent de multiples parts de nous.
C’est dans cette philosophie de respect et de bienveillance, qu’une application d’engagement à l’autre, lors d’un prêt d’objet, trouve sa place.
Kipeet n’est pas seulement un moyen pratique de mémorisation du partage des biens matériels ; elle est une extension de cette pensée, où chaque affaire partagée devient un pont entre les individus, porteur de sens et de récits.
Pour conclure, nous avons conçu cette plateforme avec une attention particulière à la richesse et à la complexité des histoires portées par chaque objet, veillant à ce que chaque interaction soit aussi une occasion de valoriser et de chérir à la fois les effets personnels et leurs utilisateurs.
Kipeet, biens à vous ♥️.
Sources
1 et 2 : Blandin, B. (2001) Des hommes et des objets – Esquisses pour une sociologie avec objets (Thèse de Doctorat en Sociologie) – Conservatoire national des arts et métiers.
3 : Le Montagner, J. (2018) – Quelle place pour le prêt d’objets en bibliothèque ? (Diplôme de conservateur de Bibliothèque) – Université de Lyon.